Migrants mineurs dans une France arrogante : quel gâchis !

« Comment il peut faire ça, le procureur ? Il sait pas que c’est les grands froids ? » A. (Ivoirien, 17 ans) est en colère, il vient d’apprendre que dans deux jours il doit quitter l’hôtel dans lequel il loge depuis 7 mois. « Et comment il peut dire que mon extrait de naissance n’est pas bon ? Nos dirigeants sont tous des incapables ? »

A. fait partie des 130 jeunes migrants qui attendent pendant des mois que le tribunal de Brest statue sur leur minorité. La réponse est trop longue et souvent négative : vérifications faites, leurs papiers ne sont pas faux mais il manque un tampon au dos, les radios osseuses (contestées par tout le corps médical) leur donnent plus de 18 ans… Quand la décision tombe, ils doivent quitter l’hôtel où ils ont été mis à l’abri.

Les mineurs isolés sont de plus en plus nombreux parmi les migrants : d’après le ministre G. Colomb (France Inter ce 11 février) en 3 ans, ils seraient passés de 4000 à 15 000 ; 60% d’entre eux ne sont pas reconnus mineurs, dit-il. Le pourcentage est sans doute plus élevé. Leurs pays d’origine ne sont généralement pas en guerre, ils ne peuvent donc être ni réfugiés ni demandeurs d’asile. Mais s’ils sont mineurs, l’Etat devrait les prendre en charge comme tout enfant isolé sur son territoire. Alors, depuis 2 ans, leur minorité est de plus en plus difficile à faire reconnaître : les critères se sont durcis, les délais allongés.

L’Afrique de l’Ouest en première ligne

La plupart de ces jeunes viennent d’Afrique de l’Ouest. Dans leurs pays, l’école et les services publics ne fonctionnent pas, ou mal, le chômage bat tous les records. En Côte d’Ivoire, en Guinée, ils ont grandi sur fond de guerres civiles et d’émeutes. Ebola a saigné la Guinée, l’intégrisme sévit au Mali. A l’insécurité sociale s’ajoutent souvent la maltraitance et les violences familiales, surtout après le décès d’un ou des parent(s) : coups, travail forcé, mais aussi captation d’héritage, voire tentatives de meurtre… « Ma marâtre me battait, quand j’avais à manger c’était que les restes. Un jour, elle m’a fait un bon plat – c’est pour ton anniversaire, elle a dit. Je me suis méfié ; elle avait mis du verre pilé.» (S., 18 ans, Guinéen)

Ils n’ont pas grand-chose à perdre, alors ils « quittent », ils traversent le désert. Beaucoup découvrent en Lybie les tréfonds de l’inhumanité. En Méditerranée, tous vivent la terreur de ne pas s’en sortir vivants. Ils tiennent, portés par l’espoir d’être accueillis, hébergés, scolarisés, une fois en Europe, une fois sur le sol français, patrie des droits de l’homme : « moi je croyais qu’en France, tout le monde était heureux » (Y., 17 ans, Camerounais)

La fin des illusions

Ils perdent leurs illusions en arrivant : leur identité, leur âge sont contestés, leur bonne foi, leurs récits remis en cause, la scolarisation leur est refusée tant qu’ils ne sont pas reconnus mineurs. Ils se retrouvent blessés, nus, démunis face à des décisions auxquelles ils ne comprennent rien.

Ce ne sont pas des anges, ce sont des ados comme les nôtres. Ou presque, car ils ont vécu ce qu’on ne souhaite à personne, et ils sont tous tenaillés par l’angoisse : l’attente interminable et l’incertitude sur leur sort les empêchent de dormir, les cauchemars sur ce qu’ils ont vécu en Lybie ou durant leurs voyages les réveillent… « Quand je reste comme ça, quelquefois, je me dis que je n’ai plus personne, j’ai envie de mourir » R. (17 ans, RDC) a perdu toute sa famille proche, ses oncles l’ont envoyé en Lybie à son insu, probablement pour le déposséder…

Et après ?

Revenons à A. qui vient d’être exclus. « Sans les associations*, je serais à la rue lundi ! » Il a raison, dans la région brestoise, les jeunes exclus pour non-reconnaissance de minorité sont aujourd’hui une cinquantaine, et comme partout en France ce sont les associations et les particuliers qui les aident : on leur trouve un toit, de quoi manger, un avocat pour saisir le juge des enfants… qui parfois rétablit leur minorité, au bout d’encore quelques mois !

Un vrai gâchis, quand tous les mois comptent : être reconnu mineur, ce n’est pas seulement être pris en charge, c’est aussi le sésame pour avoir le droit d’entrer en formation et bénéficier ensuite, parfois, d’un titre de séjour. Aller à l’école, en formation, pour ces jeunes, ça n’a pas de prix, car c’est seulement alors qu’ils peuvent commencer à se reconstruire ; beaucoup seront parmi les meilleurs de leur classe et, les professeurs en lycée technique le disent, son élément moteur. Pour ceux qui n’ont pas eu cette chance, ce sera une vie de sans-papiers…

Yveline Pallier – Article écrit à la demande de l’UEP (Université européenne de la paix) section de Brest en février 2018

* A Brest, deux associations s’occupent plus particulièrement de ces jeunes : SOLAMI (solamibrest.jimdo.com) qui héberge 16 jeunes exclus dans 3 appartements a besoin de bénévoles pour aider au fonctionnement quotidien de ces logements ; ADJIM (adjimcontact@disroot.org) coordonne des actions d’accompagnement éducatif et social auprès de tous les jeunes en attente, et cherche des hébergeants pour les exclus qui n’ont pas trouvé de place à SOLAMI.

Voir aussi le site « reseaumigrantsbrest.fr »