Programme :
14h : ouverture du séminaire.
14h 10 à 15h : intervention du Dr Pierre BODENEZ, Psychiatre Hospitalier, Chef du Service d’Addictologie au CHRU de Brest.
15h 10 à 16h30 : la réglementation en vigueur est-elle toujours adaptée ? Débat avec la participation de M Bastien DIACONO, vice Procureur au Parquet de Brest en charge des stupéfiants et de M Fabrice QUANTIN, avocat au barreau de Brest.
16h 30 à 16h 40 : votes et clôture du séminaire.
1) OUVERTURE
Youn Le Roy, secrétaire départemental, ouvre ce séminaire en rappelant le mandat national de la FSU adopté lors du congrès du Mans en février 2016 à l’initiative du secteur Droits et Libertés de la fédération :
« Face aux chiffres croissants de la consommation de cannabis en France, notamment chez les jeunes, face aux conséquences sur la santé et face au développement d’une économie souterraine, la FSU décide de se doter d’un mandat d’étude afin de renforcer ses analyses. »
Cette initiative et ce mandat faisaient suite à une motion votée le mois précédent au Congrès départemental de la FSU du Finistère, indiquant que :
– les chiffres de la consommation de cannabis en France sont alarmants, notamment chez les jeunes pour lesquels les conséquences néfastes pour la santé peuvent être irrémédiables ;
– La France est aujourd’hui tout à la fois le pays d’Europe pour lequel la consommation est la plus répandue, et le plus répressif en la matière. La prohibition en vigueur mobilise des moyens humains et financiers considérables, augmente les risques sanitaires, complique la prévention et alimente enfin une économie souterraine difficilement contrôlable et dont les effets vont bien au-delà du simple problème du cannabis ;
– face à ces constats, la FSU devrait se doter d’un mandat d’étude afin de renforcer ses analyses et le cas échéant de proposer une alternative à la prohibition.
La section départementale ayant été à l’origine du mandat d’étude national, elle se devait d’y donner suite d’où l’organisation de ce séminaire doublé pour des questions de délais d’un CDFD habilité à prendre des décisions.
Le secrétaire départemental remercie le docteur Pierre Bodénez, psychiatre hospitalier, Chef du Service d’Addictologie au CHRU de Brest, qui a accepté de venir présenter la situation actuelle, ainsi que M Bastien Diacono, vice Procureur au TGI de Brest en charge des stupéfiants et Me Fabrice Quantin, avocat au barreau de Brest qui ont accepté de prendre sur leur temps pour animer le débat prévu sur la règlementation en vigueur : est-elle ou non adaptée ?
Il remercie également l’ensemble des collègues qui se sont déplacés ou se sont excusés. Le secrétaire départemental dédie enfin l’après-midi à deux personnes disparues :
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Edouard Mazé, ouvrier et militant CGT, tué à deux pas de la Maison du Peuple d’une balle en pleine tête à l’âge de 27 ans lors d’une manifestation ouvrière en avril 1950, et qui a donné son nom à la place où nous nous trouvons.
Christian Dhookit, Mauricien de 47 ans, retrouvé mort au petit matin du 9 juin 2017 tout près d’ici également, à côté d’une porte de l’Hôtel de Ville, victime d’un meurtre aggravé pour une transaction de cannabis portant sur un montant d’une vingtaine d’euros.
2) INTERVENTION DU DOCTEUR BODÉNEZ : « LES PARADOXES DE LA PROHITION. VERS UNE LÉGALISATION ? »
Le Docteur Bodénez projette et commente une série de tableaux (télécharger le diaporama illustrant l’intervention ) concernant :
- – La loi actuelle
L’article L. 628 de la loi de décembre 1970 punit l’usage de stupéfiants d’une peine d’emprisonnement de deux mois à un an et d’une amende. - – La situation actuelle
17 millions de personnes ont expérimenté le cannabis en France, 700 000 en consomment quotidiennement.
- Les hommes consomment davantage que les femmes.
- Un quart des jeunes de métropole de 17 ans sont des consommateurs mensuels, 10 % sont des consommateurs réguliers.
Les interpellations pour usage de cannabis augmentent (122 000 en 2010) et comptent pour 90 % des interpellations pour usage de stupéfiants, pourcentage lui-même en augmentation (71 % en 1990).
Il n’y a pas de lien avéré en Europe entre niveau de consommation et niveau de répression. La consommation est forte en France et faible en Suède, deux pays répressifs. Elle est faible au Portugal et forte au Pays-Bas, deux pays tolérants.
– Les arguments avancés contre la légalisation :
La dangerosité du produit
Conduite automobile
Le cannabis à haute dose de THC multiplie par 2,1 le risque d’accident mortel
L’alcool avec un taux inférieur à 0,5g/l multiplie ce risque par 2,7. Il le multiplie par 8 avec un taux compris entre 0,8 et 1,2 g/l, et par 16 en cas de mélange.
Ces différences seraient liées à l’effet désinhibiteur de l’alcool tandis que le consommateur de cannabis seul conscient de la diminution de ses facultés diminuerait sa vitesse. Le docteur Bodénez fait donc remarquer qu’il est interdit de conduire sous cannabis alors qu’on peut légalement conduire avec un risque supérieur sous alcool.
Cancers pulmonaires
Le cannabis ne contient pas moins de substances toxiques que le tabac, que la quasi-totalité des usagers joignent de toute façon à leur consommation.
Toxicité cardio-vasculaire possible, endocrinienne pas prouvée
Schizophrénie
Le tableau établit les différents types de lien à envisager. Pour le docteur Bodenez il n’y a aucune preuve de lien entre la maladie et la consommation de cannabis. Le pourcentage de personnes atteintes est remarquablement stable au cours du temps et d’un pays à l’autre, quelque soit le degré de consommation de cannabis. En France la multiplication par trois en vingt ans nombre de consommateurs, d’un produit dont la teneur en THC a de plus considérablement augmenté, aurait dû, s’il y avait un lien, s’accompagner d’une augmentation du nombre de schizophrènes, ce qui n’est pas le cas.
Troubles cognitifs
Avérés en cas de consommation chronique, persistance non établie lorsque la consommation s’interrompt.
Augmentation du nombre de consommateurs
Les graphiques partent dans tous les sens, pas de règle établie. Le durcissement de la loi a accéléré l’augmentation du nombre de consommateurs en Italie, et l’a stoppée au Danemark. Son assouplissement s’est accompagné d’une baisse de la consommation au Royaume Uni et d’une augmentation dans d’autres pays.
- – Dangerosité et statut légal
Le rapport Roques de janvier 1999 classe les drogues en trois groupes de dangerosité décroissante :
I : héroïne, cocaïne, alcool ;
II : psychostimulants, hallucinogènes, tabac, benzodiazépines ;
III : cannabis.
Une étude anglaise publiée en 2010 précise que l’alcool est plus de trois fois plus dangereux que le cannabis. - – Légalisation = rétablir des règles
Quels produits, quelle qualité ?
Qui ? Interdiction aux mineurs…
Où ? espace privé, espace public, …
Quand ? au travail, en voiture, … Comment ? culture, commercialisation, … . - – Légalisation = des bénéfices
Financiers : taxes, diminution du coût de la répression ;
Santé: qualité des produits, séparation d’avec les points de vente de produits plus dangereux ;
Prévention ;
Non-disqualification de la loi.
Après avoir évoqué le projet gouvernemental annoncé hier de contraventionnaliser l’infraction, cette solution excluant les mineurs et perpétuant la prohibition, le docteur Bodénez conclut son exposé en précisant que pour les spécialistes en addictologie la légalisation encadrée du cannabis est la meilleure solution.
Débat
1- Question portant sur les différentes appréciations de délits lors de dépistages au volant. Réponse: problème car l’un est binaire (cannabis) et l’autre gradué (alcool) mais assez souvent il y a combinaison des deux et donc démultiplication des risques. Difficile à régler actuellement car la moindre trace de cannabis est délictuelle.
2- Question sur les risques avérés de prise de cannabis chez les adolescents et les troubles induits.
Réponse : effectivement plus la consommation intervient tôt et plus les effets seront persistants, au contraire d’une première prise à un âge plus tardif.
3- Question sur son « orientation médicale » qui défendrait quand même une légalisation de l’usage du cannabis.
Réponse : établir des règles qui fonctionnent semble indispensable en regard du constat actuel.
3) DÉBAT AUTOUR DE LA RÉGLEMENTATION
Intervention de M Diacono, vice Procureur et de Me Quantin, avocat.
Mr Quantin précise que son intervention traitera uniquement de la politique pénale en cours sur le cannabis et non sur l’ensemble des stupéfiants.
Pour ce qui est de la répression, on tient compte des circonstances de la prise de cannabis, du choix de poursuivre ou pas et un niveau de peine est appliqué. Souvent les infractions constatées sont multiples : combinaison d’achat, consommation et vente ; délit routier avec usage et/ou détention ;…. .
M Diacono affirme que faire appliquer la loi vaut pour l’intérêt général et que cette loi résulte déjà d’une construction réfléchie. La loi a pour mission le maintien de l’ordre public.
La consommation de cannabis est souvent une entrée vers la délinquance. Par ailleurs les effets négatifs sur les personnes ont augmenté en même temps que le taux de THC du produit s’élevait, allant y compris jusque des affaires de viol.
Par expérience professionnelle, il a rarement eu affaire à des utilisateurs à vie de ce produit et se limitant seulement à la consommation personnelle.
Mr Quantin ajoute que le cocktail de drogues est fréquent et notamment que la prise de cocaïne s’est élevée. On constate une tendance qui va davantage vers des situations de vente ou revente du cannabis. Cela s’explique par la mise en place d’une économie de survie, de substitution devant la déliquescence de certains quartiers urbains où une forme d’injustice sociale existe.
Débat, remarques et questions
Plusieurs participant-es :
Le cannabis est certes une drogue illégale mais aussi un produit médicamenteux.
Le cannabis peut être source de polytoxicomanie. Toutefois son traitement (législatif) est trop inégal par rapport à la « liberté » dont l’alcool jouit.
La narcoéconomie, palliatif au chômage et au manque services publics dans certains quartiers. La perception de la loi et de l’ordre n’est plus similaire sur tous les territoires de la République.
Le cannabis, source ou conséquence de désinsertion sociale ?
Le cannabis induit des troubles à l’ordre public, mais la législation actuelle est déjà dépassée pour les drogues nouvelles.
La prohibition en France est inscrite dans une perspective historique : il y avait des fumeries d’opium autorisées à Paris il y a un siècle et la prohibition du cannabis en France a suivi de peu celle mise en place aux Etats Unis pour recaser des dizaines de milliers de fonctionnaires à la fin de la Prohibition, avec le soutien du très puissant lobby du nylon concurrent du chanvre. Aujourd’hui un mouvement inverse traverse les USA.
Un professeur de SVT en lycée : une éducation préventive est au programme. Elle est appliquée mais les professeurs sont mal à l’aise au regard de la loi, et insuffisamment formés, pour parler de ce sujet aux élèves. Concrètement on peut douter de son efficacité : quelle est la crédibilité d’un professeur de SVT auprès des jeunes et de leur entourage ?
M Diacono : il y a une économie souterraine générée par des trafics de cannabis entre autres dans des quartiers. C’est une manière plus facile de se faire des revenus pour accéder à certains produits luxueux de consommation. Le besoin d’argent existera toujours et même en dépénalisant le cannabis, cela perdurera, quitte à se transférer sur d’autres produits. Il est difficile pour les législateurs de se mettre à niveau. On le voit pour les nouvelles drogues. Les « chercheurs délictueux » s’adaptent pour échapper à la loi, et ont souvent un coup d’avance. La perception de l’interdiction actuelle est inégalement voire pas ressentie chez certains jeunes dont les parents peuvent être eux-mêmes des consommateurs réguliers de cannabis.
Un participant : dans les parcours délictueux, la consommation de drogues dont le cannabis mène au trafic, ce qui n’est pas vrai pour le tabac beaucoup plus consommé mais autorisé.
M Diacono : s’il y avait légalisation, il faudrait adapter le produit en réduisant et en limitant le taux de THC.
Me Quantin : on constate que dans les troubles à l’ordre public à Brest, l’alcool est omniprésent.
Un participant : on rencontre souvent des jeunes dans les commerces se fournissant librement en alcools forts, cela à de quoi inquiéter.
Un CPE : la législation de 1970 est strictement répressive et face à l’étendue de la consommation du cannabis, on ne peut que constater son échec.
Plusieurs infirmières scolaires : la consommation de cannabis est présente en lycée principalement mais on la rencontre parfois au collège. Elles arrivent parfois à découvrir un trafic ou l’implication d’un élève dans un trafic au sein de l’établissement. Les états de crise physique ou morale en découlant nécessitent leur aide. Beaucoup de choses passent par le dialogue pour positiver et faire stopper la dérive. Il peut y avoir absence de dialogue familial mais quand il existe ou a été provoqué, c’est généralement efficace. Pour d’autres au contraire, l’entourage peut conditionner la prise de cannabis et l’addiction. Pour ceux-là, où est la solution ? Légiférer sur le cannabis, le THC ? Le problème est qu’une modification plus souple de la loi ne concernerait pas les mineurs. Il faut trouver un moyen avec ceux qui ont seulement expérimenté le produit pour faire réfléchir sur l’addiction possible et leur responsabilité en tant que « futur adulte». Un travail de prévention à l’alcool est fait également car les addictions sont combinées. La présence actuelle des infirmières à l’Éducation nationale au sein de l’équipe éducative est remis en cause par le gouvernement alors que le mal-être des adolescents est en constante augmentation et leur rôle indispensable vu notamment le contexte actuel sur ce sujet du cannabis.
M Diacono : en lycée les jeunes ont l’âge où ils recherchent de fortes sensations. Il pense dans ce cas qu’une limitation du produit (via THC) serait inopérante car la recherche de sensations se traduirait par une consommation accrue.
Me Quantin : la dépendance à certaines drogues est incontestable mais discutable en ce qui concerne le cannabis.
Une infirmière : d’autres facteurs interviennent dans la dérive vers la prise de stupéfiants. Ne pas oublier la personnalité de l’individu et sa vie sociale.
M Diacono : si on compare aux effets constatés de l’alcool dans la vie sociale des jeunes, on peut penser qu’une nouvelle législation assouplie sur le cannabis peut produire les mêmes effets.
Une CPE à Brest : on constate que certains adolescents deviennent « prisonniers » d’organisations sur des quartiers brestois et que des petits de sixième et cinquième peuvent déjà occuper un rôle dans la hiérarchie de certains trafics.
Me Quantin : c’est une situation que l’on rencontre dans beaucoup de quartiers et pas qu’à Brest.
Le secrétaire départemental clôt la réunion en remerciant une nouvelle fois l’ensemble des participant-es et les intervenants qui ont accepté de venir éclairer et animer les débats.
Secrétariat : Christian Caradec
Les séquences de FR3 sur le stage cannabis FSU
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